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Qui sont-ils ? Quelles sont leurs motivations ? Ont-ils une réelle influence sur le marché de l’art contemporain ?
A l’occasion de l’ouverture, le 20 octobre, de la Foire internationale d’art contemporain (Fiac), le ministère de la Culture et de la Communication publie une passionnante étude, enrichie de nombreux portraits et analyses, sur une passion étonnante : « Collectionneurs d’art contemporain ».
Nous re-publions ici l’entretien qu’ avait accordé l’un de ses trois auteurs, Nathalie Moureau.
On parle spontanément de la passion du collectionneur, de sa dimension psychanalytique, en raison de la relation unilatérale à l’objet. S’agissant du collectionneur d’art contemporain, nous avons voulu montrer que l’activité ne s’arrête pas à la seule relation avec l’œuvre d’art. Le collectionneur d’art contemporain intervient également de l’autre côté du marché dans la valorisation des œuvres mais aussi dans le déroulement de la carrière de l’artiste à travers des achats d’œuvres, des aides à la production, la participation à des commissions dans des musées, l’organisation d’expositions…il a un rôle très actif de soutien au travail de l’artiste et au déroulement de sa carrière. On peut en réalité identifier deux types de collectionneurs dont les motivations sont complémentaires et se croisent : d’un côté, un collectionneur classique qui serait mû par un désir de possession et une relation à l’œuvre, de l’autre, un collectionneur qui visite les musées et souhaite participer à la vitalité de la création contemporaine. Ces deux pôles extrêmes sont présents à des intensités diverses chez les profils de collectionneur.
Nous avons réalisé l’étude auprès d’un échantillon de 320 personnes. Le collectionneur milliardaire n’en fait pas partie. Nous avons cherché à savoir s’il existait un tissu de collectionneurs et en quoi celui-ci était différent. Afin de toucher tous les publics, nous avons diffusé l’enquête très largement à travers des réseaux variés : sociétés d’amis de musées, galeries, réseaux en région, dans notre échantillon, on trouve des petits collectionneurs qui dépensent peu d’argent comme des collectionneurs plus importants. Notre propos n’était pas d’avoir un jugement sur la collection, ni de dire quel type d’art méritait d’être sélectionné ou pas. En revanche, il nous importait que les collectionneurs achètent les œuvres d’artistes vivants, que celles-ci relèvent d’un art traditionnel ou qu’il s’agisse d’œuvres contemporaines. Au-delà de ces profils diversifiés, ce qui est frappant, c’est le pourcentage très important de collectionneurs qui s’engagent auprès de l’artiste : il n’est pas rare que des collectionneurs peu fortunés se démènent afin de trouver une exposition pour un artiste. Cela peut sembler évident pourtant c’est une donnée qui n’avait jamais été mise en avant jusque-là, on s’attachait davantage à l’aspect addictif de la collection.
Si l’on s’en tient aux seuls critères sociologiques, 75 % des collectionneurs d’art contemporain sont des hommes, ils ont généralement plus de 50 ans, ont fait des études supérieures et font partie d’une population aisée. Ensuite, plus que de portrait-robot, je parlerais de profils-types. Pour certains, le coup de cœur ne joue pas : ce sont des collectionneurs qui réfléchissent beaucoup avant d’acheter une pièce, font des recherches sur la démarche de l’artiste, souhaitent lui apporter un soutien et ont grande confiance en leur jugement. La pièce choisie doit en outre s’inscrire dans une histoire de l’art en train de se faire. Pour d’autres, on retrouve ce même amour de l’art, mais le motif de distinction sociale compte également. Ils n’ont généralement pas une aussi grande connaissance de l’art et vont avoir tendance à acheter des œuvres d’artistes déjà reconnus ou à se fier à certains conseils.
La question de l’argent est complexe mais le revenu n’est pas un frein : il y a beaucoup de petits collectionneurs, certains ont des revenus modestes, d’autres n’hésitent pas à consacrer un mois de leurs revenus chaque année à l’achat d’œuvres. En interview, j’ai rencontré un professeur d’histoire de l’art en lycée : c’est une situation confortable mais ce n’est pas l’image que l’on a spontanément du collectionneur, tout son salaire était consacré à la collection, c’est un choix de vie. Un autre collectionneur – ne faisant lui non plus pas partie d’une élite fortunée mais sacrifiant une part importante de ses revenus à sa collection – me disait récemment qu’il mettait plus de temps à être reconnu qu’un collectionneur fortuné qui, du jour au lendemain, achète une grande quantité de pièces. Lui achète des petites pièces avec un budget moindre. Il mettra plus de temps à entrer dans le milieu, à être reconnu par les galeries, mais cela n’enlève rien au sérieux de sa démarche. Sa collection suit une ligne directrice, elle a une identité. On en vient en réalité à la définition de la collection : est-ce juste une accumulation d’œuvres ou a-t-elle une ligne directrice ? Certains collectionneurs font preuve de beaucoup d’éclectisme dans leurs premiers choix, ce n’est qu’a posteriori qu’ils réussissent à voir une ligne dans leur collection. D’autres à l’inverse la construisent pièce à pièce avec une organisation très pensée dès le départ. Certaines collections, enfin, n’ont pas de réelle cohérence et reflètent simplement les choix très multiples du collectionneur.
Lorsque vous vous intéressez plus globalement au rôle des collectionneurs au sein de l’écosystème de l’art, vous n’hésitez pas à employer des formules choc pour définir les relations entre collectionneurs et institutions muséales – « attirance et frustration » – ou entre collectionneurs et galeristes – « je t’aime moi non plus ». A contrario, la relation avec l’artiste semble plus apaisée
Certains collectionneurs apprécient énormément cette relation avec l’artiste, elle explicite l’œuvre en quelque sorte, mais certains ont peur aussi d’être prisonniers de ces relations amicales ou intimes et d’être poussés à acheter une pièce uniquement en raison de cette proximité.
Le rôle du galeriste, quant à lui, n’est pas le même tout au long de la carrière du collectionneur. Un collectionneur débutant qui ne connaît pas encore très bien le marché de l’art a besoin du galeriste pour l’aider à comprendre les œuvres, le guider vers de nouveaux artistes. Peu à peu, il va avoir davantage confiance en son propre jugement et devenir plus autonome. Le galeriste – notamment pour la découverte d’artistes – continuera cependant à jouer un rôle important.
Aux côtés de la figure du conservateur et de celle du marchand d’art, celle du collectionneur, réputée secrète, influe sur le marché de l’art. Au-delà de quelques grands collectionneurs mécènes médiatisés, la population des collectionneurs d’art contemporain, semble insaisissable. Très diverse dans ses pratiques, elle joue pourtant un rôle dans la définition de la valeur économique et artistique des œuvres et des artistes, en soutenant l’art en train de se faire.
Les interventions des collectionneurs dans l’écosystème de l’art sont multiples. La fréquentation des galeries et des foires d’art contemporain, le soutien aux artistes par l’acquisition d’œuvres et parfois par une aide financière directe, la participation à des instances institutionnelles (conseil d’administration de musée, par exemple) font du collectionneur un acteur majeur de l’art actuel. Essentielle à la diversité de la scène artistique contemporaine, l’existence d’un tissu dense de collectionneurs, dont les choix engagés ajoutent de la diversité ou confortent les propositions des collections institutionnelles constitue un élément important de la vitalité du secteur.
En explorant la diversité de cette population relativement méconnue, ses pratiques et les motivations qui les guident, ainsi que les collaborations variées que les collectionneurs nouent avec les acteurs marchands et institutionnels, l’ouvrage offre un éclairage inédit sur les collectionneurs d’art contemporain en établissant des profils types qui, tous, partagent une même passion pour l’art.
Collectionneurs d’art contemporain, des acteurs méconnus de la vie artistique par Nathalie Moureau, maître de conférences à l’université Paul-Valéry de Montpellier, Dominique Sagot-Duvouroux, professeur à l’université d’Angers et Marion Vidal, docteur en sciences économiques de l’université de Montpellier, est publiée par le département des études, de la propectives et des statistiques / ministère de la Culture et de la Communication (12 €)